Footpatrol Meets | Monsieur Germain

25.05.23 Footpatrol Meets



FOOTPATROL MEETS: MONSIEUR GERMAIN 

Entre bon restaurant et visite de Bordeaux, nous avons eu la chance de discuter avec le designer de sneakers Germain Thomine, a.k.a. Monsieur Germain. L’occasion de retracer son parcours et de partager des anecdotes pour mieux comprendre son travail, et ce qu’implique la création de sneakers aujourd’hui. 

FP: Salut Germain, comment ça va ? Tout d’abord, merci d’avoir accepté notre invitation et de nous accueillir à Bordeaux aujourd’hui. On aimerait en apprendre un peu sur ta carrière et tes projets actuels. Pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, peux-tu te présenter et nous expliquer ce que tu fais ? 

MG: Salut ! Ça va très bien merci. Je m’appelle Germain Thomine et je suis designer Footwear spécialisé dans la performance. Ça fait à peu près 15 ans que je suis dans l’industrie de la chaussure / sneakers. J’ai commencé à Munich dans une agence qui s’appelle Creation & Focus où j’ai travaillé pour Puma, Diadora, et quelques projets un peu plus secrets à l’époque comme pour VANS par exemple. 

Petit à petit je suis tombé presque amoureux de la chaussure en général. Ma maman est une ancienne styliste et le rapport à la mode m’intéressait pas mal. Y ajouter le produit industriel avec ce combo entre le upper qui est généralement en textile donc très mode, et la semelle qui est plus rigide et performante donc design produit.
Après 5 ans chez C&F, j’ai été embauché par Mizuno en 2015 pour devenir Design Manager de leurs bureaux européens à Munich. J’y ai passé presque 4 ans en interne. J’ai travaillé sur différentes catégories : running, handball, volleyball, football, …
En 2018, on a eu l’idée avec Lucas Marchet et Wesley Tyerman de lancer une collection Lifestyle chez Mizuno. On s’est rendu compte qu’avec 110 ans d’ancienneté et les archives qu’ils ont accumulées, c’était dommage de ne pas exploiter une gamme Lifestyle.
On a donc développé toute cette gamme Mizuno Sportstyle en créant une histoire autour de la famille avec les Kazoku. Kazoku, ça veut dire famille en japonais et on avait créé tout un écosystème autour de cette catégorie Lifestyle avec des partenaires spéciaux comme Footpatrol.
Après ça, je me suis lancé en freelance parce que Mizuno déménageait et je ne pouvais pas me délocaliser de Munich. Je leur ai proposé néanmoins de continuer l’aventure ensemble et on a décidé de continuer en free. 

FP: Est-ce que tu peux nous en dire davantage sur ce que tu faisais chez Creation & Focus Agency, et les projets sur lesquels tu as travaillé durant tes années là-bas?

MG: J’étais en charge des produits Motorsport et de la partie Kids pour Puma. Pour Diadora j’ai fait du Running et du Cycling, donc j’étais orienté performance à fond. Je suis resté 5 ans dans cette agence mais j’ai été embauché un peu par hasard. J’ai une formation de design industriel et ils voulaient me prendre pour un projet avec Puma qui était d’intégrer une enceinte sur une chaussure. Je revenais d’un an de stage en Chine où je faisais des machines à laver, des machines à café, etc… J’avais donc mon bagage de designer industriel et ils m’ont contacté spécifiquement pour ce projet. Ça ne s’est pas fait pour une question de budget mais c’était très intéressant!

FP: Après ça, tu as été débauché par Mizuno entant que Footwear Design Manager. Tu as remarqué des différences ou des similarités entre les procédés japonais et ceux des marques allemandes ou italiennes pour lesquelles tu avais travaillé avant? On nous a aussi dit que tu étais le premier designer non-japonais chez Mizuno, est-ce que c’est vrai? 

MG: Alors sur le fait d’être le premier non-japonais chez Mizuno en tant que designer, je crois que c’est vrai mais je n’en ai pas la certitude haha. On m’avait dit que j’étais le premier européen à travailler pour la marque. Mais je sais que Tuan Le, qui est un designer légendaire chez Mizuno, n’était pas japonais mais vietnamien.
Dans les équipes, il y avait très peu d’occidentaux, même après ma venue. S’adapter au travail avec les japonais, ça demande beaucoup plus de rigueur qu’en france par exemple. J’avais déjà cette rigueur grâce à l’agence Creation & Focus qui était une agence allemande gérée par Rudolf Hieblinger, un autrichien qui est assez carré aussi dans sa démarche, son suivi de développement, etc. On va dire que j’avais déjà un moule bien établi.
La grosse différence, ça a été la différence culturelle au jour le jour. Ça a été hyper enrichissant de s’imprégner de cette culture japonaise qui est fascinante.

FP : Hier soir tu nous as dit que travailler au contact de cette culture japonaise a installé des pratiques dans ta vie quotidienne et dans ton travail que tu appliques encore aujourd’hui, même après avoir quitté l’entreprise. Est-ce que tu peux nous donner des exemples de routines ou de pratiques que tu as mises en place chez eux? 

MG : Un truc tout bête, c’est ma préparation du café le matin. J’ai découvert ça au Japon avec la culture du V60. J’aime le fait que ça soit vraiment comme une méditation le matin. J’ai besoin de presque méditer en faisant mon café le matin pour commencer ma journée convenablement. Sans ça, c’est vrai que la journée peut vite être mal lancée. J’aime bien prendre mon temps, prendre du plaisir et bien faire les choses. Ça a un impact sur le travail de la chaussure, avec Mizuno et maintenant avec mes autres clients, c’est que j’aime bien aussi prendre mon temps et faire ça bien. Le Japon, et chez Mizuno particulièrement, c’est vraiment la recherche du développement. C’est vraiment un pays d’ingénieurs, c’est plus de l’ingénierie que du design. Du coup ça revient un peu sur ce que je te disais au départ : je suis plus un designer industriel qu’un designer de sneakers à la base. En tous cas je m’identifie plus comme ça. J’ai un rapport au produit qui est assez poussé en termes de développement. 

FP: Tu as travaillé sur de nombreuses catégories allant du football et running au Sportstyle. Quels ont été les projets les plus challengeant ?

MG: Yes y en a pas mal ! On va dire que le Sportstyle c’était quelque chose d’assez nouveau pour moi parce que je pars avec un background très technique, très “performance”. Quand on a lancé cette partie là, vu que je ne suis pas non plus un fan inconditionnel de sneakers à la base, j’ai dû apprendre “sur le terrain”. Ça c’était challengeant au départ, mais petit à petit j’ai su bien m’entourer de personnes qui étaient ultra qualifiées pour me guider là où il fallait et me faire connaître toute cette culture en détail. L’approche stylistique de la basket, c’était le plus challengeant.
Pour l’approche technique, concernant les produits sur lesquels je travaille, y en a pas qui sont plus challengeants que d’autres. J’aime bien travailler avec des marques qui sont plutôt des marques “Lifestyle” mais leur apporter une part de performance. Que ce soit du confort, une nouvelle technologie sur des typologies de produits comme du running, du trail, du hiking, … J’aime bien apporter cette touche de performance et de sport sur ces produits. 

FP: Tout à l’heure tu nous as montré des produits sur lesquels t’as travaillé pour Aigle. En regardant la paire, on retrouve des éléments de la Kobe 5, mais aussi de la Air Max 95 ou encore de la TN 2. On voit que tu as vraiment plongé dans le côté Lifestyle et “culture” sneakers pour trouver des inspirations. C’est quelque chose que tu t’es approprié facilement ? 

MG: Yes ! Ça vient aussi du coup de crayon. C’est un flow, j’y vais comme je le sens. En l’occurrence, la paire est inspirée de la topographie du Parc des Buttes-Chaumont. C’est plein de lignes, de courbes topologiques, et l’idée c’était d’avoir un produit travaillé sur ces points là. Après j’aime bien regarder les références qu’il peut y avoir. C’est vrai que la 95 fait partie des produits qui jouent vachement sur les courbes, les différents niveaux de layers qui m’inspirent beaucoup. Mais c’est tout un travail : ne pas copier mais prendre l’inspiration partout. Il y aussi la recherche de matière, la technicité, la performance, le confort, la thermorégulation… Sur plein de choses en fait. Sur tous les produits il y a toujours énormément de recherches et c’est ça qui est intéressant. 

Particulièrement pour ce projet là, je pense que c’est pas spécialement là où on attend Aigle. Ça fait partie des challenges qui sont intéressants à relever : pousser une marque dans ses retranchements et proposer soit de nouvelles catégories, soit un nouvel horizon pour des produits existants mais plus “spéciaux”. 

FP: En te lançant en freelance, est-ce que tu as ressenti une sorte de liberté que tu n’avais peut-être pas lorsque tu designais en interne? Comment s’est passée la transition lorsque tu as commencé à travailler pour toi-même? 

MG: Carrément ! Je ressens beaucoup plus de liberté. Ce qui est fascinant aussi dans l’approche freelance c’est d’avoir des interlocuteurs différents en fonction des marques avec lesquelles tu traites. L’approche est complètement différente aussi, que ça soit dans la stratégie, dans le produit, dans la communication, dans le développement. Certaines marques ont des développeurs in-house, d’autres n’en n’ont pas. Donc je dois faire en fonction de la marque avec laquelle je travaille. Je dois aussi apporter mon réseau, mes fournisseurs, c’est tout un ensemble. Le réseau s’agrandit aussi. C’est cette flexibilité qui est agréable : je choisis mes clients à peu de chose près et c’est hyper confortable. Ça permet d’aller là où tu veux aller. En interne, des fois tu es confronté à des décisions de managers etc… En externe, tu as moins ce rapport hiérarchique. Je rends un service et j’apporte mon histoire de A à Z. Je gère mon développement produit et je vais du premier coup de crayon ou la “première phrase l’histoire” jusqu’au produit fini qui est sur l’étagère de la boutique. 

FP: Y a un terme que j’aimerais évoquer avec toi : c’est l’éco-design. Au fil de ta carrière, c’est une pratique et un style de design qui te tient à cœur. Est-ce que tu peux nous parler de comment tu l’as approché et comment tu as essayé de l’introduire dans tes designs pour tes clients? 

MG: Ça s’est fait relativement rapidement dans ma carrière parce que déjà quand je travaillais chez Creation & Focus, j’étais assez penché sur le sujet et sur le fait de minimiser les colles et les matières synthétiques à base pétrole. J’essaye de travailler plus sur un produit qui soit orienté sur la recyclabilité. C’est venu assez tôt mais lorsque j’étais en interne c’était compliqué de faire bouger les lignes chez Mizuno parce que les décisions ne sont pas forcément celles que tu as envie de prendre à cause de la structure hiérarchique et budgétaire.
Par contre en freelance, généralement on m’appelle spécifiquement sur ce genre de missions. Je travaille sur une approche “from scratch”, de zéro jusqu’à la fin en pensant à tout le produit et à la supply-chain qui passe par les matières ou les usines avec lesquelles on traite. L’éco-design, c’est pas juste avoir un coton bio et une chaussure recyclable. C’est avoir une éthique de A à Z. Je sais très bien que les produits que je développe peuvent être mieux, encore plus réfléchis en termes d’approche écologique, mais ce qui m’importe le plus c’est qu’il y ait une éthique environnementale et sociétale sur toute la ligne. Travailler avec les usines qui sont socialement correctes, que ce soit bien fait, payé à juste valeur. J’estime que mon travail est un travail de designer mais pour une chaussure, il y a 50 paires de mains qui vont la toucher pour la développer. Si dans ces 50 paires de mains, il y une personne qui se fait maltraiter, l’éthique n’existe plus. Sur le côté vraiment écologique, je suis en perpétuelle recherche de nouvelles matières et de nouvelles technologies qui font avancer les choses. C’est très compliqué, mais je tiens vraiment à tendre vers ça. 

FP: Tu aurais des exemples de produits avec lesquels tu aimes travailler? 

MG: Il y a pas mal de fournisseurs et d’acteurs qui font de bonnes choses. Par exemple, Arkema avec leur Pebax qui est fait à base d’huile de ricin. C’est une mousse pour la semelle qui est bio-sourcée. Il y a une vraie recherche écologique et ça fait partie des matières les plus intéressantes pour la semelle, sachant que c’est la partie de la chaussure la plus challengeante pour une approche écologique. 

FP: Petite question sortie de nulle part, si TU étais une paire, tu serais laquelle? 

MG: Je sais pas si c’est vraiment pour sa conception ou son utilité mais j’ai un faible pour la Cortez. C’est LA paire de chaussures que j’admire parce qu’elle est toute simple au final. La Cortez OG, c’est la paire que j’adore. 

FP: Une petite partie de culture ou de nostalgie par rapport à Forrest Gump ? 

MG: Je sais pas, il y a une approche athlétique mais en même temps elle est un peu bulky… Je la trouve marrante en fait. 

FP: C’est un choix intéressant en sachant tout ce que tu fais dans tes designs. On revient à un truc assez simple. 

MG: C’est très simple ! Et ce que j’aime c’est le fait qu’elle soit simple. C’est cette approche d’humilité en fait. Elle est efficace, le Swoosh est énorme : c’était le plus gros Swoosh à l’époque. En fin de comptes la construction est basique et elle fait le job. 

FP: Merci pour ton temps aujourd’hui Germain ! C’était super intéressant. Aurais-tu un dernier mot pour la communauté de Footpatrol? Un message pour ceux qui souhaiteraient devenir designer plus tard? 

MG: Déjà merci à toute la Team FP, à vous deux pour ce bon moment ! Et pour ceux qui veulent se lancer dans le design, allez-y ! Allez-y. Il faut bien s’entourer et faire partie d’une communauté, c’est important de plus en plus aujourd’hui. Et essayez d’avoir une éthique, c’est important aussi. Pour créer il faut être plusieurs, comme je disais : une paire de chaussures c’est minimum 50 paires de mains qui la développent, donc rencontrez des gens, partagez et construisez votre équipe. C’est la partie la plus cool. 

Au cours de notre échange, Germain portait la Hoka Project Clifton “Avocado”. La paire est toujours disponible en magasin et en ligne chez Footpatrol.

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